La pensée positive nouvelle génération
entretien avec Yves-Alexandre Thalmann
Dans les librairies ou sur internet, les professeurs de pensée positive font recette. Les promesses de la loi de l’attraction et des pouvoirs de la pensée pour transformer sa vie semblent séduire le public. Le psychologue suisse, Yves-Alexandre Thalmann, qui est aussi physicien de formation a passé la pensée positive au crible de la science. Il en démystifie les croyances et les fausses bonnes idées qui sont légion dans le domaine. Mais c’est pour mieux mettre en valeur les véritables mécanismes et les incontestables bienfaits d’une pensée positive nouvelle génération.
Vous êtes un spécialiste de la psychologie positive et vous vous intéressez également à la pensée positive. Ce n’est pas la même chose ?
Non ce sont deux domaines différents. La psychologie positive est une branche de la psychologie, créée il y a une vingtaine d’années par le professeur Martin Seligman. Elle est enseignée à l’université, fait l’objet de quantité de travaux de recherche dans le monde et s’intéresse au bien être, à l’épanouissement et au bonheur. Quant à la pensée positive, elle est issue d’un courant de pensée qui a vu le jour aux Etats-Unis au XIXème siècle. Il a ensuite connu un grand succès à partir des années 50 grâce à des auteurs comme Norman Vincent Peale, Joseph Murphy, Louise Hay et plus récemment Rhonda Byrne avec son livre « Le secret ». Ces auteurs et d’autres affirment qu’on attire à soi ce qui correspond au contenu de ses pensées et qu’il est possible de se créer une vie meilleure avec des pensées positives en chassant nos pensées négatives. Ce n’est pas simplement voir la vie du bon côté, c’est prétendre que les pensées agissent comme une sorte d’aimant capable d’attirer les bonnes ou mauvaises choses de la vie.
C’est le principe de la loi de l’attraction assez en vogue dans le milieu du développement personnel. Qu’en dit la science ?
L’idée peut paraître séduisante mais les explications de son fonctionnement données par certains « gourous » du développement personnel n’ont aucune validité scientifique. Faire croire qu’il suffit de penser très fort à quelque chose pour que cela arrive relève uniquement de la pensée magique. On n’a jamais prouvé qu’il était possible d’influencer la matière à distance juste avec la pensée. Certains pour justifier cette théorie, invoquent les principes de la physique quantique. Mais concrètement si vous regardez toutes les études scientifiques sur le sujet, vous verrez que là encore on n’a jamais prouvé de telles choses. On est vraiment dans le registre de la croyance et même de la superstition. Rien à voir avec une démarche scientifique.
Pourquoi cela a autant de succès ?
C’est un effet de mode dont certains ténors du développement personnel profitent : ils utilisent des enseignements de la psychologie positive, mais pas toujours à bon escient. Je pense, par exemple, à ces stages où l’on propose de marcher sur des braises pour augmenter la confiance en soi. Or on sait très bien que tout le monde peut marcher une douzaine de mètres sur des braises sans se brûler, donc il n’y a pas de super pouvoirs à cela. Essayer sur 18 mètres et vous allez voir ce qui va se passer, vous allez certainement vous brûler !
Pourtant vous ne jetez pas tout dans la pensée positive : vous proposez même d’adopter une pensée positive « nouvelle génération », en quoi elle consiste ?
Il faut bien comprendre ma démarche. Pour moi la pensée positive « classique » où il suffit de « passer commande à l’univers » pour transformer sa vie n’a absolument aucun fondement. Je propose une petite révolution qui consiste à utiliser la pensée positive, qui peut être un outil formidable pour améliorer sa vie mais en s’appuyant sur les études réalisées dans les labos de recherche. Pour vous montrer la différence, voici un exemple amusant. C’est le phénomène de « l’ange de parcage ou de parking ». Certaines personnes sont convaincues qu’invoquer son « ange gardien » ou faire appel à toute autre forme d’ « intelligence cosmique », peut les aider à trouver une place pour garer leur voiture. Mais en fait quand on cherche une place et surtout si on est en retard, le stress monte. Or l’impact du stress sur notre champ visuel a été démontré et il aboutit inévitablement à le restreindre. A l’inverse, être détendu favorise un champ visuel plus élargi. Donc pas besoin d’évoquer une loi de l’attraction pour vérifier qu’en étant positif, ouvert et détendu, il est plus facile de repérer une occasion favorable autour de soi. Il est vrai que cette détente peut aussi s’obtenir en pensant que Dieu ou son ange gardien est à l’œuvre et qu’il va nous aider à trouver ce qu’on cherche. C’est une autre façon d’ouvrir son champ visuel intentionnellement et donc de se donner plus d’opportunité.
Mais alors peu importe la cause, l’important pour nous c’est que cela fonctionne! En quoi c’est gênant de faire appel à son ange ou de s’en remettre à la loi de l’attraction ?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce la pensée seule ne suffit pas à s’attirer des circonstances favorables dans la vie. Invoquer le ciel ou la loi de l’attraction et rester les bras croisés, ne va rien vous apporter du tout. Ca peut même devenir dangereux de s’en remettre à la seule pensée positive pour régler les problèmes de sa vie, comme par exemple cesser tout traitement quand on a un cancer pour ne faire que des visualisations positives. Et puis, la pensée positive classique véhicule un autre postulat qui ne tient pas la route : l’idée que si on pense négativement, on attire le négatif dans sa vie !
Que dire aux personnes qui en sont convaincues ?
Je vous répondrai avec cette étude scientifique menée sur 20 ans par la chercheuse germano-américaine Gabrielle Ottingen de l’Université de New-York. Elle a étudié l’impact des visualisations sur des dizaines de milliers de sujets. L’idée était de savoir quelle est la méthode la plus efficace pour obtenir un objectif. Il y avait trois groupes. Le premier utilisait la méthode classique consistant à n’envisager que le succès, un autre groupe ne visualisait que les obstacles et un troisième a fait un mélange des deux : des visualisations positives mais en y intégrant les obstacles auxquels chacun pourrait être confronté. Cette dernière méthode a clairement donné les meilleurs résultats. Le problème c’est que la plupart de ces études rigoureuses est ignorée du grand public. C’est facile ensuite de manipuler les gens avec des théories sans fondement.
Y-a-t’il d’autres composants de la pensée positive nouvelle génération ?
Après l’ouverture du champ perceptif, on a une deuxième étape importante qui porte sur la motivation à agir. Pour cela il faut être convaincu de sa compétence et dans ce domaine la pensée a une grande importance. Je pense aux expériences faites sur une centaine de femmes ayant passé une série de test de QI. Dans un premier temps, l’étude a montré que la couleur de leurs cheveux n’avait aucune incidence sur les résultats. Puis on a raconté à ces femmes des blagues sur les blondes. Résultat aux test suivants : les blondes ont été moins bonnes. Enfin il y a une troisième phase sans laquelle la réussite finale ne peut intervenir. Celle du passage à l’action. Par exemple : je marche dans la rue, et je suis perdu dans mes pensées, du coup je ne vois pas le billet de 20 euros par terre. Alors que si, je suis détendu (1ere phase), je vois la pièce, que je n’ai pas de problème avec l’idée que je mérite cet argent (2ème phase), et bien je vais pouvoir choisir de me baisser effectivement pour la ramasser (3ème phase). Pour que la pensée positive ait un effet il faut la combinaison des trois phases. D’ailleurs on oublie trop souvent que les spécialistes à succès du développement personnel comme David Laroche, Tony Robbins ou Rhonda Byrne sont souvent des gros bosseurs qui ont travaillé de façon acharné pendant des années pour réussir. La seule force de leurs pensées et visualisations n’a pas suffit !
Et ça marche à tous les coups?
Sur ce sujet, la science est toujours prudente et s’appuie sur l’ensemble des statistiques obtenus. On peut toutefois conclure que cette méthode offre de belles probabilités de succès mais ne garantit pas un résultat positif à 100%. Il faut aussi apprendre à cultiver un état d’esprit optimiste.
Mais dans ce domaine tout le monde n’a pas la même chance au départ ? Comment peut on renforcer sa capacité à être optimiste ?
Là encore, on peut s’inspirer de ce qui a été vérifié scientifiquement et s’éloigner des « fausses bonnes idées » véhiculés un peu partout. Par exemple, celle qui consiste à affirmer qu’il ne faut pas se comparer à autrui et encore moins à ceux qui ont eu moins de chance que nous. En fait c’est une erreur. Le secret de l’optimisme réside justement dans l’hypothèse inverse. Constater que sa situation pourrait être pire, lui permet d’apprécier sa vie à sa juste valeur. Cette notion de « comparaisons descendantes » est au cœur de la psychologie positive. Prenez des athlètes sur un podium : les études ont montré que les plus malheureux étaient les médaillés d’argent car ils pensent à la première place qui leur a échappé. Alors que les médaillés de bronze semblent plus heureux en pensant qu’ils ont évité la pire des places : la quatrième ! C’est aussi une attitude qui permet de cultiver l’esprit de gratitude dont les effets bénéfiques ont bien été étudiés dans les labos. Si on y ajoute la prise de conscience des plaisirs du quotidien et la capacité à donner toute son attention à l’instant présent on obtient certains des composants essentiels du bonheur.
Sophie de Malglaive.
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